Le 17 décembre 2008

Mon amour,
J'espère que la petite et toi allez bien et que John s'occupe bien de vous en attendant mon retour. C'est avec le coeur lourd que je t'annonce que le major nous a informé que nous n'aurions pas de permissions pour Noël cette année... mais je sais que les cadeaux sous le sapin couleront à flot et qu'ils distrairont un peu Penny pour lui faire oublier que son père n'est pas là une fois de plus. Je suis désolé d'être absent et de louper vos vies pendant que la mienne s'est arrêtée ici. J'ai peur parfois, souvent même, mais je sais que coûte que coûte tu seras là à m'attendre. Toi, mon amour, ma moitié... Si tu savais à quel point je t'aime, ça t'aiderait à tenir je pense...

Terry.

 

Ce genre de lettre est monnaie courante dans la petite ville de Belmont, dans le Massachusetts. Depuis que la guerre a été déclarée contre l'Irak, il y a un cinq ans environ, les mères et les pères prient chaque soir pour qu'on leur ramène leurs enfants sains et saufs. Les femmes attendent impatiemment le retour de l'épaule sur laquelle elles ont perdu l'habitude de s'appuyer dernièrement, les hommes guettent le retour de celles qui savent leur donner l'impression de redevenir des adolescents timides et peu assurés et leurs enfants supplient le père Noël de leur accorder ce miracle qui n'arrive quasiment jamais.

Belmont est devenue l'une des villes militaires financées par l'état. Les familles des soldats se regroupent ici pour se soutenir et s'aider mutuellement dans ce combat silencieux, très différent de celui qui fait rage en Irak, mais tout aussi éprouvant.

Durant les périodes de guerre, vous pensez perdre un enfant, un mari, un frère, un proche. Les femmes essaient de rester fortes devant leurs enfants malgré ces pleurs qui résonnent une fois la nuit tombée et qui ne dupent personne. Les maris laissent tomber le masque, le soir dans les bars, lorsque l'absence de l'être aimé se fait trop sentir, ils retrouvent soudainement la foi et prient leur Dieu pour la revoir. Les parents s'inquiètent du manque de nouvelles de leurs jeunes enfants partis trop tôt à la guerre. Chaque habitant de Belmont est de près ou de loin confronté aux difficultés de la guerre et de ses dommages collatéraux comme ils aiment les appeler pour dédramatiser le chaos qu'elle provoque. Malgré leurs différences, une chose les réunis tous : l'amour. L'amour d'un pays, l'amour d'une femme, d'un mari, d'un père, d'une mère ou d'un enfant... L'amour est partout et même parfois où on ne l'y attend pas, sous des formes improbables.

Allez dire à ces femmes que ces cinq années sans leurs maris ne sont pas si longues et que bientôt la fin de la guerre sonnera. Allez leur dire que ce voisin qui la soutient et calme ces pleurs chaque jour n'est pas si bon que ça, qu'elle devrait plutôt attendre le retour de son mari pour assouvir ses désirs. Dites à ses mères que la mort de leurs enfants est belle et courageuse, qu'à présent dans leurs cercueils, ce sont devenus des héros de la nation et qu'elles doivent se contenter d'une médaille. Allez dire à ces enfants de ne pas grandir, de ne pas faire leur premier pas, de ne pas faire leurs premières chutes parce que leur papa ou leur maman ne sera pas là pour les voir. Allez dire à ces maris que même si leur femme est au front alors qu'eux sont restés là pour s'occuper des enfants, leur courage n'en est pas moins grand pour autant... Allez dire à ce père que son fils ou sa fille a été sacrifié au nom de la liberté. Allez dire aux frères, aux sœurs, aux cousins, aux amis que ce n'est qu'un temps à passer, que la vie ne s'arrête pas. Mais surtout allez les prévenir que parfois la guerre n'a rien de raisonnable et qu'on vous offre un aller sans retour, en l'honneur de votre pays. ...